Le TalentLab de Laurent Brouat — Édition 2025
Le 29 avril 2025, plusieurs acteurs : professionnels RH, recruteurs et bien plus encore se sont réunis à l’occasion du TalentLab, l'événement incontournable organisé par Laurent Brouat. L’objectif ? Prendre de la hauteur face aux tendances du marché du recrutement.
Cette journée a été animée par de multiples ateliers, mais avant tout par quatre conférences, chacune offrant une perspective sur les défis actuels et les opportunités futures :

- Éric Heyer (OFCE) a analysé les véritables raisons des tensions de recrutement en France
- David Kieffer (Achil) a exploré l’essor des collectifs de recruteurs indépendants
- Frédéric Voyer (TalentSafe) a livré un diagnostic sans complaisance de la situation des cabinets de recrutement
- Guillaume Alexandre (Gates Solutions) a alerté sur la domination de LinkedIn dans l’univers du sourcing
➡️ Le recrutement bouge à toute vitesse, et chacun va devoir repenser ses pratiques pour rester dans la course.
Des tensions de recrutement, où sont les salariés ? — Éric Heyer
Alors que les tensions sur le marché du travail se multiplient, Éric Heyer, directeur du département Analyse et prévision à l’OFCE, propose une lecture des raisons derrière les difficultés d'embauche en France. Son intervention révèle une réalité plus complexe qu’elle n’y paraît : non, la France ne vit pas une « grande démission » à l’américaine, mais bien une « grande rotation » du marché du travail.

Éric Heyer est directeur au sein de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), spécialiste des questions liées à l’emploi, au pouvoir d’achat et à la macroéconomie. Il intervient régulièrement dans les médias pour décrypter les grandes tendances économiques et leurs impacts sur le marché du travail.
La grande démission : mythe ou réalité ?
Contrairement aux États-Unis, Italie ou au Royaume-Uni, la France ne subit pas une vague de départs massifs du marché du travail. Les démissions y sont bien en hausse, mais elles traduisent une volonté de mobilité professionnelle plutôt qu’un retrait pur et simple. Les collaborateurs changent d'employeur pour améliorer leurs conditions ou changer de secteur, ce qui provoque une instabilité et une hausse des embauches, sans que l’emploi global en soit affecté.
Un marché de l’emploi dynamique mais paradoxal
Depuis la crise sanitaire, la France a connu une croissance modérée (+4 % depuis 2019), sans excès par rapport à ses voisins. Pourtant, elle a massivement recruté : 1 million d’emplois créés, alors que la productivité par salarié a chuté. Plusieurs raisons expliquent ce paradoxe : baisse de la durée effective du travail, hausse de l’absentéisme, stagnation des salaires réels, essor de l’apprentissage (passé de 300 000 à 900 000 apprentis) et maintien artificiel d’organisations dites « zombies » grâce aux aides publiques.
Le cas particulier de l’industrie
Alors que la production industrielle est en recul, les sociétés continuent d’embaucher. Pourquoi ? Par crainte de ne pas pouvoir remplacer une main-d’œuvre qualifiée devenue rare. Elles conservent donc leurs employés, même en période de creux, grâce aux aides publiques et à la hausse des prix (inflation) qui leur ont permis de maintenir leurs marges. Mais avec la fin de ces leviers, des ajustements sont attendus dès 2025, notamment via des plans sociaux.
Un retournement du marché en vue ?

La combinaison de plusieurs facteurs : baisse du nombre d’apprentis, disparition progressive des entreprises zombies, retour de la productivité et progression des salaires, laisse présager une destruction nette d’emplois en 2025-2026 (environ 200 000). C’est un changement de cycle : le chômage repartira à la hausse (prévision à 8,3 %), mais les gains de productivité permettront enfin d’augmenter les salaires réels sans affecter les marges des structures.
L’analyse d’Éric Heyer souligne la nécessité d’une politique de fonction plus ciblée, notamment en faveur des jeunes moins diplômés. La réduction des aides à l’apprentissage risque d’affecter leur intégration dans un marché du travail déjà tendu. Pour répondre aux défis structurels (vieillissement de la population, attractivité des métiers industriels), l’État devra assumer des choix d’investissement et de formation à long terme.
Les collectifs de recrutement, là pour durer ? — David Kieffer
Freelances, indépendance, collectifs… Ces mots sont désormais omniprésents dans le secteur du recrutement. Mais s'agit-il d'une simple mode ou d'une véritable transformation du marché ? C’est la question à laquelle David Kieffer, cofondateur du collectif Achil, a tenté de répondre.

Ancien banquier d’affaires, David Kieffer s’est lancé en 2022 dans l’entrepreneuriat RH en cofondant Achil, un collectif de recruteurs indépendants. Il s’appuie sur une forte expérience terrain avec plus de 2 500 recruteurs rencontrés et nous livre une analyse du phénomène des collectifs.
Qu’est-ce qu’un collectif de recruteurs ?
David Kieffer le définit comme :
« Un collectif (ou réseau de recruteurs indépendants est un groupe de professionnels du recrutement qui travaillent à leur compte et qui décident de se rassembler pour mettre en commun leurs compétences, leurs contacts, et leurs bonnes pratiques. La structure centrale (le siège) assure la coordination et fournit divers services : formation, accompagnement, support juridique et financier, marketing, tarifs préférentiels (centrale d’achat). »
Leur promesse ? Le meilleur des deux mondes : la liberté de l’indépendance, la sécurité et les moyens du salariat.
Pourquoi les collectifs de recrutement émergent-ils ?
Le recrutement freelance connaît une forte croissance depuis la crise du Covid. Les raisons sont simples :
- Plus de flexibilité,
- Meilleure rémunération,
- Moins de dépendance à des employeurs instables.
Mais l’indépendance a aussi ses revers : isolement, démarches administratives lourdes, difficulté à décrocher des missions… C’est dans ce contexte qu’apparaissent les collectifs de recruteurs, une alternative hybride entre le salariat et le freelancing.
Quelques chiffres
- 42 collectifs créés depuis 2020 en France (une dizaine ont déjà disparu).
- Environ 1 400 recruteurs sont aujourd’hui membres de collectifs.
- 3 collectifs dépassent les 100 membres.
- Le tarif moyen par mission atteint 8 000 €.
- Les clients sont majoritairement des TPE/PME de province, mal adressées par les cabinets traditionnels.
Pourquoi ça fonctionne ?
Côté clients :
- Des prestations plus accessibles grâce à des frais de structure réduits.
- Une approche plus souple et plus humaine.
- Une proximité terrain souvent absente dans les grands cabinets.
Côté recruteurs :
- Plus de revenus, plus de liberté.
- Moins d’isolement grâce à un réseau actif.
- Accès à des outils mutualisés (CRM, jobboards, formations...).
Résultat : un cercle vertueux se crée entre clients satisfaits et recruteurs motivés.
Un nouveau concurrent pour les cabinets de recrutement ?
Les collectifs ne cherchent pas forcément à concurrencer les cabinets, mais à occuper un “océan bleu” : celui des petites entreprises peu ou pas accompagnées par les acteurs traditionnels. (cabinets de recrutement, grandes agences de recrutement, cabinets spécialisés, etc.)
Ces structures indépendantes adressent un marché non saturé, non équipé, mais en forte demande.
Le recrutement freelance, là pour durer ?
D’après le modèle d’Everett Rogers sur l’adoption des innovations :
- À 11% d’indépendants recruteurs, nous sommes proches du point de bascule des 16 %.
- Cette évolution s’ancre durablement, mais ne conviendra pas à tout le monde.
- Le modèle des collectifs va coexister avec les cabinets, non les remplacer.
Le modèle des collectifs de recruteurs répond à une double aspiration : celle des entreprises à taille humaine en quête de solutions agiles, et celle des recruteurs en quête de sens, d’autonomie et de collaboration. Les collectifs ne sont pas un effet de mode. Ils sont là pour durer et redessinent déjà les contours du recrutement en France.
David Kieffer a conclu cette prise de parole par :
"On en a bave, mais aujourdhui on fait vivre 50 personnes. Cest difficile, mais on est fiers."
Les cabinets de recrutement : une crise ? - Décryptage — Frédéric Voyer
Les cabinets de recrutement font face à de nombreux défis : baisse des volumes, pression sur les prix, forte concurrence… mais faut-il parler de crise ou simplement d’une phase de mutation ? À travers son analyse, Frédéric Voyer nous invite à prendre du recul.
Objectif : mieux comprendre ce qui freine aujourd’hui les cabinets… et ce qui pourrait, demain, les relancer.

Frédéric Voyer est un entrepreneur et expert du secteur RH, cofondateur de TalentSafe, une solution qui aide les cabinets de recrutement à mieux sécuriser leurs placements et valoriser leur offre.
Actuaire de formation, passé par le monde des assurances et la direction de la scale-up MyJobGlasses, il est reconnu pour sa capacité à croiser données, terrain et vision business. Son credo : sortir des effets de mode pour revenir à l’analyse, la vraie. Avec près de 20 ans d’expérience, il accompagne aujourd’hui les acteurs d'acquisition de talents dans une démarche de professionnalisation et de différenciation.
Des statistiques souvent mal comprises
Frédéric commence par un avertissement : les chiffres ne font pas tout. Pire encore, mal interprétés, ils peuvent fausser les diagnostics.
- Corrélation n’est pas causalité : deux faits liés ne sont pas nécessairement cause/conséquence.
- La qualité de la donnée est primordiale : les sondages en ligne peuvent être manipulés
- Le futur ne se lit pas dans les sondages : les prévisions d’embauche ne sont que des intentions, souvent démenties par les faits.
Recrutement en baisse : une crise… de lenteur
En 2024, le marché français du recrutement affiche une baisse de 5 %. Ce n’est pas une chute brutale, mais une érosion continue depuis plus de deux ans, une situation inédite. Ce n’est pas la violence de la crise qui inquiète, mais sa durée.
Dans le même temps, le marché mondial continue de se développer : +8 % par an sur les 20 dernières années. Les prévisions restent optimistes pour les années à venir, preuve que le métier n’est pas condamné… mais doit s’adapter.
Trois défis qui minent les cabinets :
1. Une concurrence qui exploseLe nombre de cabinets continue d’augmenter (+4 % sur 10 ans), avec peu de barrières à l’entrée. Résultat : des pratiques disparates, des tarifs à la baisse, et une profession souvent mal perçue.
2. Des ruptures de période d’essai en forte hausse

Selon la DARES, 22 % des CDI sont rompus pendant la période d’essai. Cette instabilité rend les clients frileux et décrédibilise leur volonté de recruter via une prestation.
3. Une rentabilité sous tension
Le taux de marge des cabinets de recrutement est tombé à 2,9 % en 2024 (source : Xerfi — institut privé français qui réalise des études économiques, sectorielles et qui fournit des analyses sur différents secteurs d'activités). L’augmentation du nombre de missions ne suffit plus à compenser la pression sur les prix et le coût des remplacements.
Le problème n’est pas le marché, c’est la perception de valeur
“La valeur ajoutée des cabinets n’est pas perçue à sa juste mesure.”
Les entreprises, en particulier les PME, voient souvent les cabinets comme interchangeables. Faute de différenciation, le critère prix devient central, au détriment de la qualité ou de la méthode.
Et si la solution était marketing ?
Frédéric Voyer appelle les cabinets à se réinventer, non pas dans leur cœur de métier, mais dans la façon de présenter leur valeur.
Quelques pistes :
- Structurer son offre : proposer des gammes de services claires, du “standard” au “premium”.
- Capitaliser sur les données : valoriser les taux de réussite, les délais moyens, les taux de rupture plus faibles que la moyenne.
- Évangéliser le marché : expliquer le rôle stratégique du recruteur, au-delà de la simple mise en relation.
« Les cabinets doivent sortir du réflexe “one-shot” et penser relation client sur le long terme. »
Frédéric Voyer ne nie pas les difficultés actuelles. Mais il y voit surtout un appel à la maturation du secteur. Oui, le marché évolue. Oui, la concurrence est rude. Mais les besoins en intégration de personnel restent là, massifs, complexes et mal adressés.
Ceux qui tireront leur épingle du jeu seront les cabinets capables de :
- mieux se positionner,
- mieux se vendre,
- mieux sécuriser leurs prestations.
Et si la vraie crise des cabinets, ce n’était pas le marché… mais leur positionnement ?
LinkedIn écrase tout sur le marché français — Guillaume Alexandre
LinkedIn est aujourd’hui au centre de toutes les stratégies de sourcing. Pour les recruteurs français, la plateforme est devenue incontournable. Lors de sa conférence, Guillaume Alexandre, nous a livré une analyse de la place qu’occupe LinkedIn sur le marché du recrutement. Il alerte : LinkedIn a gagné la bataille des données. Et tout le monde doit en tenir compte.

Basé en Suisse, Guillaume Alexandre est un des pionniers du sourcing en Europe. Fondateur de Gates Solutions, il accompagne les entreprises dans l’optimisation de leurs processus de recherche de postulants.
Avec ses chaussures rouges reconnaissables entre mille, il assume son statut de geek : automatisation, scraping, optimisation des algorithmes… Rien ne lui échappe. Il compare souvent le recruteur à un chef : "On peut être un excellent cuisinier, mais si on n'a que des carottes pourries, on ne sortira jamais un bon plat." Sa mission ? Approvisionner les recruteurs avec les bons ingrédients : les bons profils, les bons outils, la bonne donnée.
LinkedIn : l'annuaire mondial le plus complet

Avec plus de 22,6 millions de membres en France (pour une population active de 30 millions), LinkedIn couvre plus de 74 % des actifs. Ce chiffre grimpe à plus de 90 % dans les grandes entreprises. Ces résultats sont à nuancer, tous ne sont pas en activité, la plateforme compte aussi des retraités, étudiants ou encore des profils inactifs.
Guillaume le dit sans ambiguïté : "Il n’y aura plus jamais de concurrent crédible à LinkedIn sur l’identification des talents."
La donnée est entrée manuellement par les utilisateurs eux-mêmes, la structuration est unique, la base est à jour : pour les recruteurs, LinkedIn est devenu l’équivalent d’une carte d’identité professionnelle mondiale. Viadeo, son ancien concurrent français, a été définitivement enterré.
Pourquoi les jobboards ne peuvent plus suivre
Les jobboards reposent sur une logique d’intention : les candidats doivent activement chercher un emploi et poster leur CV. Sur LinkedIn, le recruteur va vers le talent, qu’il soit en veille ou en poste.
Autre limite : la qualité des données. Un CV contenant le mot "Java" peut correspondre à un développeur... ou à un souvenir de vacances à Bali. Sur LinkedIn, les données sont structurées, triables, reliées à des expériences réelles.
Les dangers d’un monopole absolu
LinkedIn est devenu le seul accès aux aspirants. Mais avec ce monopole viennent des risques.
Guillaume en identifie plusieurs :
- Dépendance totale à l’algorithme : seuls 1000 profils sont visibles dans LinkedIn Recruiter. L’ordre d’affichage dépend d’interactions invisibles (likes, connexions, pages suivies).
- Positionnement ambigu des recruteurs : se connecter à tous ses prospects peut être contre-productif. En recherche libre, LinkedIn favorise les niveaux 2 au détriment des connexions directes.
- Inflation tarifaire possible : LinkedIn pourrait, à l’avenir, multiplier ses tarifs sans crainte, comme d’autres plateformes monopolistiques l’ont déjà fait.
Comment s’adapter ?
Pour Guillaume, il est urgent de changer de posture face à LinkedIn :
- Mieux comprendre l’algorithme pour apparaître dans les bons résultats.
- Utiliser la plateforme non pas comme une CVthèque passive mais comme un outil de marketing et de community management RH.
- Exploiter son ATS (logiciel de suivi des candidatures) comme une véritable base de données vivante.
"Vous avez payé pour avoir ces candidats. Ne laissez pas leurs CV moisir dans le frigo !"
LinkedIn est devenu le Carrefour du recrutement
LinkedIn est le magasin dans lequel tout le monde fait ses courses. Les recruteurs doivent l’accepter, l’intégrer à leur stratégie, mais aussi se différencier ailleurs : dans leur manière de sourcer, d’aborder les candidats, de construire une relation sur la durée.
Guillaume Alexandre l’affirme : le recrutement de demain ne sera pas sans LinkedIn. Mais il ne sera gagnant que pour ceux qui sauront se servir de la donnée intelligemment.
Conclusion : Les recruteurs vont devoir se réinventer
L'évènement du TalentLab 2025 a révélé combien le secteur du recrutement se transforme petit à petit. Entre les tensions actuelles sur le marché en France, l'émergence du freelancing au travers de collectifs, la remise en question des cabinets traditionnels, l'omniprésence de LinkedIn, une chose est sure, les anciennes méthodes ne suffisent plus.
Chacun doit agir ! Que ce soit : Anticiper les changements économiques, adopter de nouvelles façons de travailler, mieux valoriser ses services, exploiter de meilleurs outils technologiques (ATS, CRM, Jobboards, IA générative, etc.)
Finalement, le futur du recrutement appartient à ceux qui seront se réinventer, évoluer et répondre aux attentes du marché.
Pour plus de lecture
➡️ Les 3 défis des recruteurs en 2025 — Hellowork Place➡️ Emploi, chômage, revenus du travail — Insee Références — Édition 2024
➡️ Les offres d'emploi diffusées par France Travail de 2016 à 2024
➡️ Les fins de période d'essai — Dares